John B

Depuis 10 jours, de violents affrontements ont lieu entre les forces de l’ordre et des manifestants dans la région d’Oromia en Éthiopie. Les militants, pour beaucoup des étudiants, dénoncent un projet “d’accaparement des terres” mené par le gouvernement.

Fin novembre, le gouvernement éthiopien a annoncé un plan d’extension de la capitale Addis Abeba, située dans la région d’Oromia. Appelé “Master Plan”, ce projet a pour objectif, selon les autorités éthiopiennes, de contrôler l’expansion rapide des grandes villes pour atténuer l’exode rural. Mais ce projet fait craindre aux habitants un accaparement des terres agricoles. Il avait déjà été annoncé en 2014 et avait alors suscité une vague de manifestations à travers la région, coûtant la vie à 70 étudiants,selon un communiqué de l’association des étudiants de l’Oromia.

Avec près de 25 millions d’habitants, l’Oromia est la région la plus peuplée d’Éthiopie. Les Oromos, l’ethnie majoritaire dans la région, dénoncent depuis plusieurs années leur marginalisation.

“Ni les habitants ni le gouvernement de l’Oromia n’ont été concertés”

John B

John B (pseudonyme) est étudiant à Ambo University dans la région d’Oromia. Il était sur le campus durant les premiers jours de la manifestation. Il nous explique ce conflit compliqué entre les Oromos et le gouvernement central.

L’Éthiopie est une République fédérale divisée en neuf régions. Selon la constitution, chaque région à le droit à son propre gouvernement. Mais nous avons un problème dans l’Oromia : la capitale du pays, Addis Abeba, est située dans la région et elle est gouvernée par le gouvernement fédéral.

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Il y a toujours eu des différents entre la population d’Oromia et le gouvernement central, mais en Éthiopie, il y est difficile de se rebeller. Le mois dernier, le gouvernement a de nouveau mis sur la table son “Master Plan” . Avec ce projet, le gouvernement veut étendre son contrôle administratif dans l’Oromia. C’est une sorte d’extension d’Addis Abeba.

Mais le “Master Plan” remet totalement en cause notre frontière et nous avons peur que cela passe par un accaparement des terres. Des fermiers oromos pourraient-être expulsés. Ni les habitants ni le gouvernement de l’Oromia n’ont été concertés. C’est pour cette raison que la population manifeste : personne ne veut céder ses terres ! Surtout que nous savons que ce plan de “développement” de la ville ne va bénéficier qu’à une minorité de dirigeants, pas aux habitants oromos.

Selon Bekele Nega, le secrétaire général du Congrès Fédéral d’Oromia [parti d’opposition en Éthiopie], 13 étudiants auraient été tués et une centaine jetés en prison suite aux manifestations. Sur Facebook et Twitter, de nombreuses photos d’étudiants blessés et de policiers armés ont été relayées.

Ce sont les étudiants qui se sont mobilisés en premier. Dans mon université, les manifestations ont commencé la semaine dernière. C’était très pacifique et d’ailleurs, selon la Constitution éthiopienne, nous avons le droit de manifester. Trois jours après le début des manifestations, la police est entrée dans le campus. Les forces de l’ordre se sont montrées très violentes, des étudiants se sont fait frapper, beaucoup avaient du sang sur le visage et les mains. Tout le monde s’est mis à courir. Ceux qui n’ont pas eu le temps de s’échapper ont été arrêtés et emmenés au poste de police.

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Les fermiers et les habitants de l’Oromia ont rejoint les manifestations étudiantes. Photo prise à Inango – Oromia.

Je sais que dans d’autres universités, les policiers ont utilisé des armes à feu mais pas dans la mienne. En ce moment il n’y a presque plus personne sur le campus : les étudiants ont peur. Dans d’autres villes, les manifestations continuent et les étudiants ont été rejoints par les habitants et les fermiers. Je n’ai jamais vu un mouvement de contestation si important dans la région.

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Les médecins de l’hôpital Jimma dans la ville d’Agaro dans l’Oromia expriment leur soutien aux manifestants.

Le mouvement de contestation ne s’arrête pas aux frontières éthiopiennes. Selon le compte Twitter “Oromo Press”, la communauté oromo aux États-Unis s’est mobilisée ce vendredi pour dénoncer le “Master Plan” et demander l’intervention du président américain.

Le commissaire de police de la région s’est justifié lors d’une conférence de presse la semaine dernière. Selon lui, les manifestants auraient été particulièrement violents. Les forces de l’ordre ne seraient alors intervenues que pour maintenir le calme dans les universités et écoles.